Einstein disait : « Je ne cherche pas, je trouve »

Ou était-ce plutôt Picasso ? Ou bien Colomb, ou Cocteau ?
Ou encore quelqu'un d'autre ?

On peut le savoir — en cherchant ! ....Sur Internet.

Comme dans l'exercice ci-dessous.

 

AWS - Ariise Web Search - Recherches rapides sur Internet

 
   

Pour illustrer l'utilité de notre offre nous allons effectuer, à titre d'exemple, une petite recherche d'une heure. C'est le genre de pré-étude que nous proposons dans nos forfaits à 75 euros. Pour rendre l’exercice plus démonstratif nous allons nous limiter au seul moteur Google, et à la seule langue française. Prenons comme sujet cette phrase célèbre : «Je ne cherche pas, je trouve ».

Imaginons que, fin 2008, un publicitaire nous demande d'évaluer l’impact-web actuel de cette phrase. Pour respecter le cadre d’un forfait n°1, l’exercice consistera en une exploration du Web pendant 20 minutes, et une rédaction de note qui en durera 40.
Tout d'abord, un survol "quantitatif" de la question :

  • « Je ne cherche pas, je trouve » (la phrase seule) est présent sur 10.200 pages du Web ;

Un coup d'oeil sur 100 pages montre rapidement que sur le Web cette phrase est très généralement attribuée à Picasso. Mais il y a d'autres opinions, elle serait d'Einstein, Colomb, Cocteau... Et si l'on demande la phrase et aussi « Picasso », on ne trouve que 693 pages... A quoi peuvent donc correspondre les autres 9.500 ?

  • « Je ne cherche pas, je trouve » + Picasso donne 693 pages ;
  • « Je ne cherche pas, je trouve » + Einstein donne 530 pages ;
  • « Je ne cherche pas, je trouve » + Christophe Colomb donne 138 pages ;
  • « Je ne cherche pas, je trouve » + Cocteau donne 447 pages ;

Mais ces simples comptages contiennent de nombreux artefacts (faux résultats) : il existe évidemment de nombreuses pages qui contiennent à la fois la phrase célèbre et des noms de célébrités qui se trouvent là pour de tout autres raisons ! Et il a même existé une page —disparue ! où ces trois génies figuraient tous les trois (sans que l'on puisse désormais savoir pour quelle raison). Allons jusqu'au bout de cette comptabilité : la phrase + Picasso + Einstein donne 224 pages ; avec Picasso et Colomb il y en a 9, et avec Einstein et Colomb, on retrouve la mystérieuse page disparue, dont apprend là qu'elle ne concernait qu'un répertoire de blagues.

Il sera donc indispensable d'aller voir dans quelques dizaines parmi les 10.200 pages pour se former une meilleure idée de leur contenu. Comme nous l'avons, vu la plupart des pages attribuent la phrase à Picasso, le plus souvent sans autre commentaire (sites de citations célèbres); mais parfois la phrase est replacée dans un contexte précis, comme ici :

http://www.gilles-jobin.org/citations/index.php?page=refmol

« Saviez-vous, par exemple, que la célèbre citation de Picasso « Je ne cherche pas, je trouve. » vient d'une conversation avec Christian Zervos dans Cahiers d'Art, 1935 ? » (dans une recension du Dictionnaire des citations du XXe siècle, Jérôme Duhamel, Albin-Michel 1999).

 

Par ailleurs, si des centaines de pages attribuent sans hésiter la phrase à Picasso, certaines, mieux informées, nuancent déjà sa formulation : Il aurait en réalité dit :

« Je peux à peine comprendre l’importance donnée au mot recherche dans la peinture moderne. À mon avis, chercher ne signifie rien en peinture. Ce qui compte, c’est trouver.» (The Arts Picasso speaks, New York, 1923). Cette réflexion est citée d’ordinaire sous une forme condensée : «Je ne cherche pas, je trouve.»

 

Également cette citation trouvée à l'adresse http://www.gilles-jobin.org/citations/?P=p&au=543 ; site consacré aux écrits d'Henri Perruchot, 1917-1967 :

« Mes recherches », « Je fais des recherches »... Ce terme de « recherche », combien de peintres aiment à le répéter ! Et rien peut-être ne montre avec plus de cruel éclat la supériorité d'un Picasso que sa remarque : « J'ai de la peine à comprendre le mot « recherche » : je ne cherche pas, je trouve. »
(La peinture, p.51, Hachette coll. Notes et maximes, 1965)

 

On trouve ce « bon mot » cité aussi bien à l'Académie française...

(http://www.academie-des-beaux-arts.fr/membres/actuel/architecture/Langlois/discours_hommage_carlu.htm)

INSTITUT DE FRANCE - ACADEMIE DES BEAUX-ARTS - NOTICE SUR LA VIE ET TRAVAUX DE M. Jacques CARLU (1890-1976) par M. Christian LANGLOIS lue à l'occasion de son installation comme membre de la Section Architecture SEANCE DU MERCREDI 25 JANVIER 1978 :

« Cette idée de recherche et d'expérimentation devient même si prédominante que, pour certains, elle en arrive à se satisfaire d'elle-même, la recherche devenant sa propre fin sans nécessité d'aboutissement. Pressentant cela, Picasso avait dit : « Je ne cherche pas, je trouve. » N'aurait-il pas dû dire plutôt: «Je ne cherche pas, je crée.»? Car si la fin de la science est la découverte, la fin de l'art est la création. Newton n'a certes pas créé les lois de la gravitation, il les a découvertes. En revanche, Beethoven n'a pas découvert la IXe Symphonie : il l'a créée ».

 

... qu'au Parti Communiste : (http://www.humanite.fr/popup_imprimer.html?id_article=763118) Picasso à Pierre Daix : « Même une casserole peut crier ! (L'Humanité, Article paru le 17 octobre 1996) :

« Picasso et Braque se sont posé les problèmes qu’on a appelés, après coup, ceux du cubisme à partir de 1907-1908. Personne, alors, n’employait le mot. Dès 1913-1914, certains des collages de Picasso annoncent le surréalisme bien avant Breton, Aragon et Soupault. Après 1945, Picasso sera complètement en dehors des batailles entre art abstrait et art figuratif. Il n’est pas en dehors du mouvement général de l’art de son époque, mais il est en dehors de la théorisation des avant-gardes successives. Il n’a jamais dit, comme on le lui fait dire : « Je ne cherche pas, je trouve », il a dit que, en art, la recherche, quand il n’y avait pas une oeuvre, cela n’avait aucun sens, et qu’il fallait d’abord travailler. C’est à partir du moment où on commence à créer quelque chose qu’on peut trouver quelque chose. »

 

Le même Pierre Daix, grand spécialiste de Picasso, nous explique que la fameuse phrase est un faux :

« Picasso, dans la première interview qu'il ait donnée en 1923, n'a pas dit : Je ne cherche pas je trouve. C'est un faux qui traîne depuis 1926 mais un faux. Il a dit au contraire ceci : "Quand je peins mon but est de montrer ce que j'ai trouvé et non pas ce que je suis en train de chercher. En art, les intentions ne suffisent pas et comme nous disons en espagnol, l'amour doit être prouvé par des actes, non par des raisons. Ce qu'on fait est ce qui compte, non ce que nous avions l'intention de faire. L'art est un mensonge qui nous fait nous rendre compte de la vérité et finalement de la vérité qui nous est donnée à comprendre" »

(recevant le Prix Georges Pompidou 2003, le 8 décembre 2003 ; http://www.georges-pompidou.org/prixgp/discours-Daix.html) : .

 

Ce serait Einstein qui l'aurait dit, pour Manuel de Dieguez :

(http://pagespro-orange.fr/aline.dedieguez/tstmagic/philosopher/quideux.htm)

Manuel de Dieguez, Qui sommes-nous? LETTRES PHILOSOPHIQUES A UN JEUNE ANTHROPOLOGUE

LETTRE XXI : Où l'anthropologie scientifique compare des cubages cérébraux
Comment sélectionner les spécimens de génie
Goûtons l'ironie d'Einstein, qui disait : " Je ne cherche pas, je trouve ". Puisque les traits de nos visages se distinguent autant sous le crayon de nos dessinateurs que la physionomie du chimpanzé David, dit " barbe grise " diffère de celle de la femelle Flo, notre espèce ne se rendra reconnaissable en ses performances sommitales que si nous fabriquons des enregistreurs en mesure de se mettre à leur écoute.

 

Dans son Initiation à la psychopathologie, Michel Pouquet la met dans la bouche aussi bien de Picasso que d'Einstein (et de Lacan, ainsi hissé au niveau des deux premiers) :

« ... il y a parfois l'illumination d'un génial découvreur ("Je ne cherche pas. Je trouve..." disait Lacan, après Einstein et Picasso) qui sait profiter de ce qu’il observe hors de son domaine, mais ce n’est pas fréquent. (« je ne cherche pas, je trouve », disait Lacan, après Einstein et Picasso) »

 

Et Blaise Pascal n'est pas en reste, convoqué par Malraux, lui-même cité sur la Blogosphère :

« Malraux parle dans les salles du Musée Imaginaire, reconstituées par Aimé Maeght : »

« L’artiste ne part plus du modèle pour l’imiter ou le transformer ; mais de l’invisible, qu’il tentera d’atteindre à travers le visible. Cet invisible était lié à la valeur suprême de la civilisation dans laquelle naissait l’artiste. Même si nous ignorions les textes sacrés, l’invisible qui suscita Vézelay ne serait pas celui qui suscita les grottes sacrées. Mais lorsque les divinités d’Asie qui m’entourent dialoguent avec le Roi de Beauvais, lorsque toutes ces figures révèlent un même processus de création, elles rejoignent les tableaux modernes de la salle voisine – et d’abord ceux de Picasso. Je viens de voir le Faucheur, le Monument aux Espagnols, les Femmes sur la plage. Il ne s’agit ni de femmes, ni de faucheur, ni d’Espagnols, ni d’expressivité. » Et là, Malraux ne s’en tire pas par la pirouette des « couleurs en un certain ordre assemblées » de Maurice Denis, il assume le mystère. « Il s’agit évidemment d’accession, non plus au sacré, à la beauté, au divin, mais au monde que Picasso appelle la « peinture » pour ne pas l’appeler l’art. Monde chargé à ses yeux, d’une valeur suprême. » Il enfonce le clou, lui l’athée, jusqu’à la parenté entre l’artiste et le croyant : « Est-ce tellement solliciter les mots, que rapprocher le fameux : « Je ne cherche pas, je trouve », de Picasso, de la note que Pascal a prise pour les siècles : « Tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais déjà trouvé » ? »

(Posté par thierryconsigny le 6 octobre 2008 sur le blog : http://artetluxesciencespo.unblog.fr/tag/non-classe/).

 

D'autres affirment péremptoirement que la paternité de la formule revient à Jean Cocteau, mais différent sur sa formulation (dans la deuxième citation elle semble moins arrogante que dans sa version classique :

Cahiers 2000 : "JE NE CHERCHE PAS, JE TROUVE", La phrase est de Jean Cocteau... Bien utile comme intro pour vous faire découvrir les "Cahiers", version 2000 !

(http://www.ujjef.com/index.php?idCategorie=10&idRubrique=15)

 

(http://www.espacefrancais.com/citations/?searchq=trouve&show=10000)

« Trouver d'abord, chercher après ». (Jean Cocteau, Journal d'un inconnu, D'une conduite)

 

Nous terminerons sur une dimension plus sérieuse, le registre épistémologique dans lequel s'expriment quelques chercheurs, des gens qui savent donc de quoi ils parlent. Pour eux tout bon chercheur commencerait par trouver, même Christophe Colomb !

(http://www.astrosurf.com/luxorion/philo-sciences-role-objectif.htm (site de Thierry Lombry))

"Certaines découvertes ne sont même pas liées aux travaux qui préoccupent les chercheurs sur le moment. Quand on demanda à Werhner von Braun comment lui étaient venues toutes ses idées et en particulier les fusées, il répondit : "la découverte, c'est ce que je fais quand je ne sais pas ce que je suis en train de faire". La même idée s'applique à la découverte "des Amériques" par Christophe Colomb alors qu'il n'était même pas parti avec cette intention ! Picasso disait "Je ne cherche pas, je trouve…".  

(Mentionnons sur ce même site, au passage, une excellente vidéo d'Arte sur la Relativité : http://www.astrosurf.com/luxorion/relativite-video.htm)

 
http://www.fortunes-fr.org/data/sciences
En sciences, on trouve d'abord et on cherche ensuite. Il n'y a pas de fait en soi mais des faits observés. -+- Imre Lakatos -+-
 

Excellent chercheur lui aussi, et parmi les plus grands, Claude Bernard pourrait être finalement l'auteur de la phrase célèbre, il est vrai sous une forme plus modeste (telle que la cite M. Ledos) :

(http://histv2.free.fr/19/LEDOS2001.pdf) :
« La Science est souvent imprévisible. Picasso citait cette phrase empruntée au physiologiste français Claude Bernard: « Je trouve d'abord, je cherche ensuite » L'observation impose l'interrogation sur un phénomène qui ne révèle pas immédiatement son application possible. Heureusement, l'imagination des romanciers de science-fiction ou d'anticipation fonctionne plus vite parce qu'elle ne s'embarrasse pas de justifications rationnelles.»

 

Einstein n'est quand même pas loin, quand il dit « l'’imagination est plus importante que la connaissance », « le plus important c'est de ne pas s'arrêter de poser des questions. »

 
En conclusion, nous dirons au terme de ce petit exercice que sur le Web la fameuse phrase « Je ne cherche pas, je trouve », si elle fait largement consensus aussi bien chez les artistes que chez les chercheurs, semble néanmoins parfois renvoyer à deux acceptions différentes chez ces deux communautés. Pour les artistes (et apparentés) la phrase, de Picasso ou pas, veut surtout dire que dans l'art il ne faut pas chercher, « faire des recherches » : il faut créer. Pour les chercheurs, en revanche, l'administration de la preuve scientifique sera toujours l'idéal à atteindre, mais les plus lucides d'entre eux sont bien conscients que ce processus commence par une trouvaille, dont la théorie est dressée après-coup. Les théories pré-existantes, aussi belles soient-elles, enferment la pensée, que la trouvaille libère.